Une personne sur dix

25 octobre 2025 | Virginie Larivière

Le Collectif pour un Québec sans pauvreté regroupe 36 organisations nationales québécoises, populaires, communautaires, syndicales, religieuses, féministes, étudiantes, coopératives ainsi que des collectifs régionaux dans la plupart des régions du Québec. Depuis ses débuts, le Collectif travaille en étroite association avec les personnes en situation de pauvreté. Propos recueillis par Yannick Delbecque.

À bâbord ! : Pourquoi le Collectif a-t-il été formé ?

Virginie Larivière : Le Collectif s'appelait à son origine le Collectif pour une loi visant l'élimination de la pauvreté. Il a été créé à la fin des années 1990 par des groupes de Québec réunis autour d'une proposition de réforme de l'assistance sociale par le gouvernement de l'époque. Ces groupes ont su aussi mobiliser plusieurs personnes en situation de pauvreté concernées par cette réforme, notamment des personnes âgées ou assistées sociales. Ce mouvement a vraiment pris beaucoup d'ampleur et l'idée de revendiquer une loi visant l'élimination de la pauvreté est apparue comme étant mobilisatrice. Les groupes ont rédigé une proposition citoyenne de loi visant l'élimination de la pauvreté, laquelle a été présentée à l'Assemblée nationale, puis largement amendée par les parlementaires pour finalement être adoptée à l'unanimité en 2002.

Après l'adoption de la loi, le collectif a été renommé Collectif pour Québec sans pauvreté. Nous agissons depuis comme chien de garde au sujet des enjeux liés à la pauvreté, des mesures proposées, des budgets. Le Collectif a maintenant trois grands champs d'action. Premièrement, nous faisons de la représentation politique. On utilise notre influence pour faire adopter de meilleures politiques publiques en matière de lutte contre la pauvreté. On interpelle aussi le gouvernement et les partis d'opposition pour mettre de la pression. Le deuxième volet de notre action est ce que nous appelons « les pratiques avec ». Il s'agit du principe selon lequel on doit mener cette lutte avec les personnes en situation de pauvreté concernées par l'objet de ces luttes. Enfin, le troisième volet de notre action est celui de la recherche. Nous avons développé des projets de recherche-action participative et nous participons à des projets de recherche universitaire.

ÀB ! : Qu'est-ce qui explique qu'il y a de la pauvreté dans notre société ?

V. L. : Parce qu'on tolère le fait que des gens ne couvrent pas leurs besoins de base. Parce que nous sommes dans un système capitaliste qui crée de la pauvreté en générant des gagnant·es et des perdant·es. Les perdant·es, ce sont les personnes en situation de pauvreté. Historiquement, ce sont les travailleurs et les travailleuses qui sont exploité·es pour alimenter le jeu du capitalisme. Le capitalisme fait en sorte que les possédants, ceux qui réussissent à se hisser au sommet, puissent s'approprier les profits. Les possédants peuvent maintenant gagner cent fois le salaire de leurs ouvrières et ouvriers les moins payé·es. C'est ce qui fait apparaître les inégalités de toute nature, qu'elles soient économiques, sociales, de santé et culturelles.

Dans les dernières décennies, ces écarts se sont agrandis de façon absolument indécente sans qu'on arrive à y trouver de réponse politique. Nous sommes paralysé·es devant le grand jeu du capital et du mythe du capitaliste qui réussit grâce à son seul travail et à son génie. Il y a encore des gens qui saluent ces « réussites » de personnes qui seraient sorties de nulle part et qui réussiraient seules à monter au sommet. On ne calcule cependant jamais le coût collectif de ces succès individuels. On sait que personne n'arriverait seul·e à monter si haut dans notre monde compétitif mondialisé. Il y a nécessairement eu tout un échafaudage d'appuis, de relations, de connaissances, de moyens financiers, moyens auxquels la grande majorité du monde n'a pas accès.

On accepte l'existence de la pauvreté comme une fatalité. Il y aurait toujours eu des pauvres et des gagnants et la seule chose à faire serait de tirer son épingle du jeu : faire les bons choix, réussir à l'école, rester en santé. Comme si le fait de se retrouver en situation de pauvreté ou de devenir riche était la conséquence de choix individuels.

ÀB ! : Comment éradiquer la pauvreté ?

V. L. : Il faut beaucoup de volonté politique ! Évidemment, éliminer la pauvreté, c'est une question de revenus. Les gens sont pauvres parce qu'ils manquent de revenus. Ils n'ont pas assez d'argent pour s'offrir la couverture des besoins de base pour sortir de la pauvreté. L'augmentation des revenus figure bien sûr dans nos revendications.

Je pense cependant que la clé de la lutte à la pauvreté est de défaire les importants préjugés à l'égard des personnes en situation de pauvreté et à l'égard du système générant de la pauvreté. On a tellement de préjugés que ça nous empêche de rehausser le revenu des plus pauvres, de nous attaquer véritablement aux inégalités socioéconomiques. S'il y avait moins de préjugés, si le portrait global était mieux compris, il serait beaucoup plus facile d'éliminer la pauvreté. Par exemple, il y a encore beaucoup de préjugés à l'égard des personnes assistées sociales. Pour comprendre comment cela est nuisible aux luttes que nous menons, on peut se rappeler comment en 2012 les préjugés envers le mouvement étudiant ont pu lui nuire. Iels seraient des « enfants gâté·es pourris » qui buvaient de la sangria sur des terrasses avec des cellulaires. On dépeint beaucoup les personnes en situation de pauvreté comme étant profiteuses, paresseuses et en manque de volonté. Beaucoup au Québec ont un avis assez campé au sujet de l'assistance sociale, mais très peu connaissent véritablement ce système et son fonctionnement. Ses conditions d'accès extrêmement contraignantes sont méconnues : qui en est exclu·e, quelles sont les conditions pour y avoir accès, quelles sont les conditions pour le conserver, etc. Il est urgent de défaire ces préjugés et la méconnaissance qu'on peut avoir envers les personnes en situation de pauvreté.

Ensuite, il faut la volonté politique. Depuis 20 ans, les gouvernements de tout ordre clientélisent la population. On peut mettre de l'avant des mesures de lutte contre la pauvreté, de rehaussement du revenu, mais visant certaines catégories de personnes, ce qui clientélise ces mesures. Par exemple, des mesures pour les personnes aînées, pour les femmes seules de 60 ans et plus, etc. Depuis quelques années, les deux paliers de gouvernements ont mis en place des mesures pour les personnes aînées, mais de 70 ans et plus, alors que depuis longtemps, on considère comme aînées les personnes à partir de 65 ans, dès leur retraite. Cela coûte moins cher, mais cela clientélise. Ce ne sont plus des mesures universelles. Il arrive la même chose au système d'assistance sociale. On catégorise les gens en fonction de leur capacité à rejoindre le marché du travail avec toutes sortes de biais dans la manière de déterminer ces catégories. Dans les dernières années, on a aussi beaucoup mis de l'avant des mesures pour les familles. Ce n'est pas une mauvaise chose, mais c'est encore une approche clientéliste qui, cette fois-ci, a comme effet d'exclure les personnes seules et les couples sans enfants. Ces personnes sont les plus oubliées en matière de lutte contre la pauvreté et ne sont l'objet d'aucune mesure particulière.

Quand on n'a pas la volonté de lutter contre la pauvreté de manière large, on tombe dans ces petites catégories. C'est ce qui fait que malgré l'adoption de la loi visant l'élimination de la pauvreté il y a 20 ans, malgré le fait que le préambule de cette loi donnait 10 ans au Québec pour devenir une des nations qui compte le moins de personnes pauvres, nous en sommes à peu près au même point. Aujourd'hui, une personne sur dix au Québec ne couvre pas ses besoins de base.

Virginie Larivière est porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté.

Illustration : Anne Archet

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