Israël - Palestine : la fabrique du consentement occidental

25 octobre 2025 | Anne Latendresse

Depuis le 7 octobre, Israël poursuit de façon incessante ses bombardements, ses frappes de missiles et ses attaques ciblées contre des hôpitaux, des écoles, des universités et des résidences au vu et au su du monde entier. Ces crimes de guerre sont accompagnés d'une rhétorique où Israël se présente comme la victime des Palestinien·nes, ce qui justifie, croit-il, son « droit de se défendre ».

Cette guerre contre Gaza est accompagnée d'un récit repris par les principaux médias occidentaux qui répètent allègrement la version israélienne voulant que tout ait commencé le 7 octobre, lors de l'attentat du Hamas qui a fait un peu plus de 1 200 victimes, essentiellement des civil·es israélien·nes. Notre propos ici n'est pas de nier l'ignoble tuerie commise par le Hamas, mais de questionner l'absence de mise en contexte dans laquelle s'est produit cet événement. Aucun média (ou si peu) n'a rappelé au monde que cet événement s'inscrit dans le cadre d'une occupation militaire et d'un blocus isolant complètement Gaza, et empêchant les Gazaoui·es de circuler, que ce soit pour aller en Cisjordanie, en Égypte ou ailleurs.

Aucun journaliste (ou si peu) n'a eu le réflexe ou le courage de rappeler ce que signifie concrètement ce blocus pour près de deux millions de personnes qui sont en confinement total sur un petit territoire depuis 16 ans maintenant, confinement collectif qui les prive de soins de santé plus performants, qui leur interdit de retrouver les membres de leurs familles vivant en Cisjordanie ou en Israël, qui les prive également d'opportunités d'emploi ou encore de visites à la Mosquée al-Aqsa, le troisième lieu de pèlerinage pour les musulman·es. Qui a entendu parler de l'intervention de l'armée israélienne à Jénine l'été dernier, l'une des plus importantes opérations militaires depuis le début de l'occupation israélienne de la Cisjordanie en 1967 ? L'armée est intervenue dans le camp de réfugié·es et dans la ville même de Jénine, tirant notamment sur la mosquée. Selon le ministère palestinien de la Santé, douze Palestinien·nes ont été tué·es et on compte quelque 100 blessé·es, dont 20 sont dans un état grave. Ce type d'intervention de l'armée israélienne, qui viole les droits des habitant·es des territoires palestiniens, fait désormais partie des faits divers. Cette banalisation de la violence du colonialisme israélien a contribué à ce que désormais, la « question palestinienne » disparaisse du radar médiatique occidental.

L'affaire de l'hôpital de al-Shifa

Ainsi, les médias occidentaux reprennent sans scrupules la trame narrative israélienne et la reconstitution de « preuves », à partir de données et de photos satellitaires fournies par l'armée israélienne. L'affaire de l'hôpital de al-Shifa à Gaza en est un bon exemple. Les dirigeants de l'armée ont déclaré que cet hôpital cachait des infrastructures stratégiques et militaires du Hamas. Pour soutenir cette affirmation, l'armée israélienne a présenté des photos de caches d'armes dans un endroit qui aurait pu être n'importe où, de même que des vidéos de soldats israéliens marchant dans un tunnel, lampes frontales au front et armes droites devant. Où ont été tournées ces scènes, nul ne le saura. Mais il demeure que des médecins européens présents sur place pour aider la population palestinienne ont démenti la version israélienne. Malgré cela, les journalistes non palestiniens, qui opèrent de l'extérieur de la bande de Gaza, ont repris ce récit presque mot pour mot, ce qui a servi à justifier l'explosion et la destruction totale de cet hôpital à l'heure où les intervenant·es des Nations Unies, et en premier lieu son secrétaire général Antonio Guterres, évoquent une crise humanitaire d'une ampleur sans précédent…

Le contrôle des médias

Pour ajouter, est-il nécessaire de rappeler que la couverture journalistique occidentale se fait de l'extérieur de Gaza ? Il est interdit pour les journalistes d'entrer dans cette zone de guerre. Celles et ceux qui, comme Céline Galipeau, vont dans la région se voient contraint·es d'aller rendre visite à des résident·es israélien·nes des colonies de peuplement environnantes. Les reportages qui donnent la parole à des personnes qui ont été enlevées par le Hamas ou aux membres de leur famille participent à renforcer le récit israélien, diffusé largement à la télévision. Il semble qu'aucun·e journaliste de Radio-Canada ou d'une autre télévision d'ici n'ait pris la peine d'aller rencontrer des opposant·es ou militant·es israélien·nes qui interviennent en solidarité avec le peuple palestinien, ou à tout le moins qui travaillent en matière de défense des droits humains. Pourtant, de telles organisations existent, et elles sont connues.

En effet, d'autres voix que celles de l'État ou de l'armée existent en Israël et dénoncent le génocide en cours, même s'il leur est plus difficile de se faire entendre en temps de guerre. À titre d'exemple, le journal israélien Haaretz a fait connaître l'une des conclusions d'une enquête policière israélienne révélant qu'un hélicoptère de l'armée israélienne a tiré sur des personnes qui couraient dans tous les sens lors des attentats de militants palestiniens du Hamas, le 7 octobre dernier. Selon le rapport révélé par Haaretz, l'hélicoptère israélien aurait vraisemblablement tué un·e ou des Israélien·nes. Peu de médias occidentaux ont relayé cette information pourtant crédible, et provenant d'un média israélien. Même si l'armée israélienne a nié ces accusations, ces éléments d'information illustrent à quel point cette guerre est aussi une guerre médiatique. Les nouvelles technologies et les réseaux sociaux jouent également un rôle important. S'il n'y avait pas eu d'individus utilisant leur cellulaire pour filmer les Palestinien·nes marchant nu·es dans le désert, aurions-nous cru aux atrocités et aux humiliations commises par l'armée israélienne ?

Enfin, notons que les journalistes qui travaillent à Gaza sont les cibles privilégiées de l'armée israélienne. Ce ciblage fait partie intégrante de la fabrique du consentement. Au début de l'année 2024, selon le Syndicat des journalistes palestiniens, 102 journalistes ont été tué·es à la suite de bombardements israéliens de leurs maisons ou de leurs bureaux, ainsi que lors de leur pratique journalistique, soit « 8,5 % des journalistes de Gaza » [1].

Fabriquer le consentement

Tous ces éléments nous amènent à évoquer la célèbre thèse de Noam Chomsky et Edward Hemann : la fabrique du consentement. On renvoie ici à la création d'un récit constitué de faits choisis (ou omis), et d'informations répétées ad nauseam par les médias, qui contribue à imposer une « vérité ». Un processus qui permet aujourd'hui à Israël de justifier le processus d'annihilation de la population palestinienne de Gaza.

Notons que cette volonté israélienne d'empêcher que les faits soient dévoilés est appuyée par un bon nombre de dirigeants de pays occidentaux comme le président français Emmanuel Macron, qui a tenté d'interdire les manifestations propalestiniennes (le premier ministre François Legault avait évoqué cette idée pour finalement y renoncer) et a fait expulser la représentante de l'Autorité palestinienne qui avait été invitée par des organisations de la société civile à prendre la parole lors de certains événements. Aux États-Unis, les rectrices de grandes universités comme Harvard ou le MIT ont été forcées de démissionner, du fait des pressions des philanthropes pro-israéliens qui financent ces vénérables institutions. Le principe même de manifester son appui au peuple palestinien est menacé, et c'est pourquoi plus que jamais nous devons leur témoigner concrètement notre appui et participer au boycott, aux sanctions et au désinvestissement à l'égard d'Israël.


[1] Cela comprend 78 praticien·nes du journalisme et 24 professionnel·les des médias selon le Syndicat des journalistes palestiniens. Selon le Committee to Protect Journalists, en date du 23 janvier 2024, il s'agirait plutôt de 83 journalistes et travailleur·euses des médias tué·es (donnée confirmée) ; 76 journalistes palestinien·nes ; quatre journalistes israélien·nes, et trois Libanais·es ; 16 journalistes ont été blessé·es et trois journalistes sont portés disparu·es. Enfin, 25 journalistes auraient été arrêtés.

Anne Latendresse est militante internationaliste.

Illustration : Ramon Vitesse

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