« Ceux que la mort fait travailler »

30 juin 2025 | Patrick Chatrand, Isabelle Larrivée

Le cimetière Notre-Dame-des-Neiges à Montréal est géré par la Fabrique de la paroisse Notre-Dame. Il compte 17 employé·es de bureau et 90 responsables de l'entretien. Des personnalités comme Thérèse Casgrain, Lhasa de Sela et Émile Nelligan y ont trouvé le repos éternel. Le défi de tenir une grève dans un lieu aussi chargé symboliquement n'est pas banal. Histoire d'un conflit de travail avec Patrick Chartrand. Propos recueillis par Isabelle Larrivée.

À bâbord ! : Aux yeux du public, avant 2018, le cimetière Notre-Dame-des-Neiges semblait un milieu de travail sans histoire. Qu'est-ce qui a déclenché ce conflit ?

Patrick Chartrand : Nous avons malheureusement un historique de conflit avec notre employeur, le dernier remontant à 2007, un lockout de 17 semaines. Cette fois-ci, notre contrat était échu depuis le 31 décembre 2018 et nous avons connu des négociations laborieuses, en plus de la pandémie. De plus, il y a eu des changements dans l'administration en 2019, et nous avons senti très rapidement que nous serions en confrontation avec le nouveau directeur général.

ÀB ! : Qui était en grève et quelles étaient les principales revendications ?

P. C. : Les employé·es de bureau ont déclenché la grève le 20 septembre 2022 et les employé·es d'entretien ont fait de même le 12 janvier 2023. Dans les deux cas, on discutait de la sécurité d'emploi. L'employeur voulait notamment réduire le plancher d'emploi pour les employé·es à temps plein. Il voulait aussi nous faire accepter des gels salariaux pour les années passées, soit de 2019 à aujourd'hui, et n'offrir aucune rétroactivité. Nos demandes étaient plutôt centrées sur la préservation de nos acquis et une augmentation de salaire basée sur l'importante hausse du coût de la vie.

ÀB ! : Qu'est-ce qui explique la mise à pied de 26 employé·es en mai 2021 et quel rôle joue ce licenciement dans la déclaration des hostilités ?

P. C. : Ces suppressions de postes ont effectivement augmenté la tension d'un cran. Nous étions en pleine pandémie. Malgré le fait que le gouvernement nous avait placé·es sur une liste d'emploi prioritaire et que nous avions travaillé chaque jour, notre employeur a décidé de ne permettre qu'un accès limité aux familles. Nous étions au minimum des effectifs depuis plus d'un an, ce qui a aussi contribué à affecter le moral des travailleur·euses et renforcé notre décision de faire la grève.

ÀB ! : Quels sont les résistances, les arguments de la Fabrique ?

P. C. : La Fabrique parlait de problèmes financiers, mais elle refusait d'ouvrir les livres. Il fallait la croire sur parole. Elle est aussi propriétaire et gestionnaire de la Basilique Notre-Dame. Celle-ci a dû fermer ses portes lors de la pandémie, ce qui a certainement créé un vide financier. Mais le cimetière, lui, n'avait pas été affecté par la pandémie, bien au contraire.

ÀB ! : Quelles étaient les propositions à l'étude ?

P. C. : Grâce à un conciliateur et probablement aussi à l'immense pression médiatique des familles, la négociation a débloqué en juin. Le conciliateur a travaillé avec les deux parties pour construire une proposition de règlements. Nous avons accepté de faire une concession pour le plancher d'emploi et en retour, l'employeur a dû accepter de mettre de l'argent sur la table, particulièrement pour la rétroactivité.

ÀB ! : Pourquoi le protocole de retour au travail proposé par la partie patronale, début juin, a-t-il semblé aussi décevant ?

P. C. : Au moment où les parties en sont venues à une entente, et vu, surtout, la longueur du conflit, il fallait mettre en place un protocole de retour au travail. Il fut ardu de convenir d'un protocole adéquat pour les deux parties. Les enjeux de reconnaissance furent les plus difficiles à régler, particulièrement en ce qui concerne le fonds de pension et les vacances.

ÀB ! : Comment anticipez-vous la fin de ce conflit ? Quelles sont les attentes pour l'avenir des employé·es ?

P. C. : Au moment d'écrire ces lignes, nous en sommes venu·es à une entente qui vaut jusqu'au 31 décembre 2027, et nous sommes de retour au travail depuis le 17 juillet. Malheureusement, les employé·es de bureau ne sont pas parvenu·es à une entente. Nous restons solidaires de nos collègues et souhaitons de tout cœur un dénouement rapide et à la hauteur de leurs attentes.

Patrick Chartrand est président du syndicat des employé·es de l'entretien du cimetière Notre-Dame-des-Neiges, CSN.

La phrase « Ceux que la mort fait travailler » est reprise d'un slogan du syndicat des employé·es du cimetière de Notre-Dames-des-Neiges.

Illustration : Marcel Saint-Pierre, Vert signal, 1998, détail, série Zones grises. Pellicule d'acrylique sur toile, 210 x 130 cm. Collection Denis Gascon

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